Dossier Spécial : Présentation générale des débouchés professionnels des études en Histoire

La course à l'emploi concerne tout le monde, y compris les étudiants en Histoire. Entre découragement et fol optimisme, le Journal de Kléio commence sa série d'articles sur ce thème par une synthèse introductive.
La course à l'emploi concerne tout le monde, y compris les étudiants en Histoire. Entre découragement et fol optimisme, le Journal de Kléio commence sa série d'articles sur ce thème par une synthèse introductive.

     La période dans laquelle nous vivons actuellement est profondément marquée par les problèmes économiques, frappant l’ensemble de la société française (1). Nous autres, étudiants de l’université de Nanterre, n’échappons pas à ces difficultés, que les plus mal lotis vivent au quotidien, et que les plus heureux ne font que redouter pour leur proche avenir (2). En effet, le monde du travail des années 2010 est loin de faire rêver une jeunesse universitaire directement ou indirectement confrontée aux problèmes de précarité et de chômage (3). Ces difficultés impliquent que nombre d’étudiants sont confrontés à un choix cornélien : suivre des études qui les intéressent ou en choisir d’autres, réputées pour leurs meilleurs résultats sur le marché du travail. Dans ce cadre, les études en Histoire, de l’avis de nombre d’entre eux, plutôt pessimistes, se rangent davantage dans la première catégorie.

 

     Cet article est né de la volonté d’illustrer les perspectives qui leur permettront de faire coïncider leurs passions et leur volonté d’échapper aux sombres destins qu’ils pensent leurs être réservés. Les études d’Histoire à Nanterre ont connu depuis quelques années de très profondes modifications, en lien direct avec un certain souci de combattre un chômage réputé important chez les étudiants plus « littéraires » par une meilleure formation (professionnelle ou élitiste). Ces nombreuses réformes (instaurant par exemple une première année pluridisciplinaire en première année en Histoire) et les créations de filières parallèles (comme le Master professionnel Humanité et management), créent une instabilité des études et des parcours en Histoire, participant à cette impression diffuse chez les étudiants que les études en Histoire posent problème, qu’elles ne mènent à rien …


Ancien logo de l'ANPE (Pôle Emploi de nos jours) en face de l’université de Nanterre, au niveau de la gare.
Ancien logo de l'ANPE (Pôle Emploi de nos jours) en face de l’université de Nanterre, au niveau de la gare.

I) Les études en Histoire, une « fabrique àchômeurs » ?

 

      Ce défaitisme étudiant, créant une fausse image de leur cursus comme étant une fabrique à chômeurs n’est pas qu’une simple impression : il est également relayé et entretenu par toute une série d’acteurs dont l’énumération serait trop longue pour cet article. Il reste toutefois certains que depuis quelques années, entre propos des médias (4) et classements de Shanghaï (5), s’engage une déconsidération croissante d’un ensemble appelé « Sciences Humaines et sociales » dont l’Histoire fait partie. Toutefois les observations du chômage chez les jeunes, l’Etat et ses statisticiens commencent à avouer leurs erreurs d’analyses sur les observations du chômage chez les jeunes. Des erreurs révélatrices de l'échec des dernières politiques visant le chômage chez les jeunes, notamment les jeunes diplômés. Ainsi une grande partie des études sur le chômage des jeunes se fonde sur une tranche d’âge des 15-24 ans aux réalités multiples (6), que les observateurs tentent vainement de classifier depuis un certain nombre d’année. Un même amalgame existe au niveau des études sur le chômage des étudiants après la fin de leur formation puisqu’une grande partie de celles-ci utilisent des regroupements larges comme les Sciences Humaines et Sociales, masquant la grande hétérogénéité existant entre des étudiants d’AES (Administration économie sociale) ou d’Art du spectacle et les étudiants d’Histoire ou d’Histoire de l’Art, tant au niveau des compétences que des carrières professionnelles visées (7).

 

      Ainsi, lorsqu’on observe les taux de chômage des titulaires de Licence pour la génération 2004 et 2009, on s’aperçoit que les études en Histoire constituent moins une fabrique à chômeurs (avec 7% de chômeurs, 3 ans après l’obtention de leur licence et la fin de leurs études) que des parcours comme le Droit (8 %), l’Economie (8 %), la Physique (8 %) ou la Psychologie (11 %) pourtant considérés comme des filières offrant largement plus de débouchés professionnels (8). Ainsi contrairement aux opinions des étudiants eux-mêmes, l’Histoire telle qu’elle est enseignée dans les facultés françaises ne condamne pas les étudiants du niveau Licence et Master au chômage de longue durée, loin de là.


Photo de Robert Doisneau, La Libellule, École de la rue de Verneuil, Paris, mai 1956. Malgré une crise des vocations l’enseignement reste le débouché prédominant des études en Histoire.
Photo de Robert Doisneau, La Libellule, École de la rue de Verneuil, Paris, mai 1956. Malgré une crise des vocations l’enseignement reste le débouché prédominant des études en Histoire.

II) Des Etudes d’histoire pour un emploi stable ? 

 

      Toutefois si ce faible taux de chômage peut surprendre, il ne faut pas croire qu’en ces temps de crise les « licenciés » et les « masterants » d’Histoire échappent à la nouvelle rigueur du temps. De sorte que même si la génération de 2004 comptait 65% de détenteurs d’une licence travaillant 3 ans plus tard dans le secteur public, seulement 49% des titulaires du master d’Histoire-Géographie occupaient en 2009, un emploi jugé stable 3 ans après l’obtention d’un diplôme supérieur (9).

 

     Une situation qui ne doit pas être devenir un facteur d’angoisse, mais qui illustre parfaitement l’état actuel du marché de l’emploi où les emplois stables se font rares et les postes à vie encore davantage. Une seule solution face à cette période d’incertitude : faire ce sur quoi on se sent pouvoir faire le maximum, avoir un projet cohérent le plus vite possible et ne pas hésiter à multiplier les expériences afin d’étoffer votre curriculum.

 

     L’exemple le plus parlant en ce sens, reste l’éducation nationale, un métier qui constitue le débouché privilégié d’une majorité d’étudiants en Histoire. Même ce métier ,surtout raillé pour sa fameuse « sécurité de l’emploi » (10), est aujourd’hui profondément différent de ce qu'il était il y a quelques années : politiques de limitation du nombre d’enseignants, départ à la retraite des anciens, violences scolaires, dépressions …

 

     Ce climat de tensions largement exagéré par les médias, est tout de même un fait existant, ce qui explique que de nos jours dans l’enseignement, notamment en collège et en lycée, 1/3 des enseignants envisagent de changer de carrière à court, moyen ou long terme. Un chiffe nouveau dont il faut toutefois nuancer la portée (déjà parce que 2/3 des enseignants ne souhaitent pas changer de métier). En effet, le métier d’enseignant n’est pas cloisonné mais au contact direct avec une société profondément marquée par les souffrances de la crise, ce qui explique que si le métier a profondément changé depuis 10 ans, rien n’exclut qu’il change en mieux d’ici quelques années. Pour le moment dans ce contexte d’un emploi fortement instable et aux rythmes de travail en augmentation, l’enseignement devient progressivement une étape de passage dans la vie d’un peu moins de 20% des enseignants qui choisissent finalement de changer de métier.

 

     Une transition que certaines associations enseignantes s’engagent à accompagner du fait des difficultés des enseignants à faire reconnaitre leurs droits en terme d’équivalence entre leurs diplômes et un possible rang dans l’Administration (11).

Gravure du 18e siècle extraite du tome 7 du  Spectacle de la nature : l’Homme en société et sa fameuse maxime : « C’est dans le commerce que sont les ressources de l’Etat ».
Gravure du 18e siècle extraite du tome 7 du Spectacle de la nature : l’Homme en société et sa fameuse maxime : « C’est dans le commerce que sont les ressources de l’Etat ».

      Le service public et l’administration: parlons-en justement. La crise économique enfonça dès 2009, une porte largement ouverte par l’éternelle critique d’une administration française jugée trop lourde et peu efficace. Face à l’important déficit public (re)découvert par l’Etat à la lumière de la crise économique, les conditions de travail au sein des services publics ont empiré, comme dans l’ensemble de la société française. Ainsi les fonctionnaires ont vu leur rythme de travail soumis à de nouveaux principes issus du privé : objectifs chiffrés plus ou moins bien pensés (12), réduction des effectifs, restructuration des centres administratifs.

      Toutefois,  dès 2009, un facteur générationnel contribua largement à contre-balancer l’émergence d’une politique plus dure en matière d’emplois dans les différentes administrations : les débuts du départ massif des enfants du baby-boom à la retraite (ou en préretraite malgré la réforme).

    Ces départs et la modernisation nécessaire de l’administration entraient de nos jours d’importantes créations d’emplois, comme l’illustrent parfaitement les derniers chiffres de l’année 2012, qui montrent que l’administration, l’enseignement, la santé humaine et l’action sociale sont presque les seuls à créer des emplois (19,9 % selon l’INSEE) face à un secteur privé (notamment le secteur tertiaire et plus spécifiquement l’emploi marchand) plus gravement touché par la crise (13).

 


Les Crieurs de Journaux, gravure du XIXe siècle, de la forte présence des historiens des médias de nos jours à la part de plus en plus importante d’étudiants qui choisissent une carrière de journalistes au grands malheur de certains historiens.
Les Crieurs de Journaux, gravure du XIXe siècle, de la forte présence des historiens des médias de nos jours à la part de plus en plus importante d’étudiants qui choisissent une carrière de journalistes au grands malheur de certains historiens.

III) Les Entreprises veulent-elles des étudiants en Histoire ?

 

    Les entreprises privées ou semi-privées spécifiques comme les musées, les journaux, les maisons d’éditions, ou les entreprises commerciales séduisent un nombre croissant (mais toujours minoritaire) d’étudiants souhaitant s’écarter des débouchés classiques, aux réputations trop démoralisantes. En tête, les métiers du journalisme, un choix somme toute logique, en ces temps d'omniprésence des médias soumis à des mutations profondes (notamment la presse sur internet, les chaines du cable…).

     En seconde place, les métiers de la conservation et les métiers du Livre, deux débouchés en baisse de popularité à cause de la crise du livre et de l’importante concurrence des étudiants d’Histoire de l’art dans les métiers liés aux musées. Car l’inconvénient majeur des débouchés du secteur privé réside dans leur caractère non exclusif à l’historien (tout comme d’ailleurs les concours de l’Administration). Ainsi les étudiants souhaitant trouver un emploi dans le secteur privé, devront laisser une place prédominante de leurs études à une continuelle quête de professionnalisation et spécialisation dans la carrière qu’ils envisagent (nous reviendrons sur les spécialisations utiles dans le cadre d’un prochain numéro).

 

     Voilà j’espère que cet article, vous a permis d’avoir un premier avant-gout des débouchés des études en Histoire. Soyons clairs,  dans le contexte actuel,  aucun cursus ne vous permettra de trouver instantanément un emploi stable, honnête et bien payé, alors autant faire des études qui vous passionnent.

 

Florent COULON


(1)  La « crise » frappe depuis 2009, un Etat fortement endettée, aux services publics privatisés, et au chômage et à laprécarité en constante augmentation.

 

(2) Le constat des difficultés en termes d’emploi des jeunes a fait l’objet d’un article par Anne Françoise Dequiré, « Le monde desétudiants : entre précarité et souffrance », in Pensée Plurielle, n°14, 2007.

 

(3) A la crise économique s’ajoute une crise de confiance des jeunes, un terme développé par une large documentation sociologique, tel l’ouvrage d’Olivier Galland, La crise de confiance de la jeunesse française, éditions Armand Colin, Paris, 2009.

 

(4) Voir l’article du journal libéral Challenge, si les Sciences Sociales sont souvent considérées comme « bouchées », l’Histoire n’est pas clairement citée :http://www.challenges.fr/emploi/20120625.CHA7886/etude-quelle-formation-faire-apres-le-bac-pour-etre-sur-d-etre-au-chomage.html.

 

(5) Pour en savoir davantage : http://www.shanghairanking.com/ARWU-Methodology-2012.html

 

(6) Pierre-Édouard Batard, Emmanuel Saillard, « Le chômage des jeunes : quel diagnostic ? » in Trésor-Eco n°92, Direction générale duTrésor, Paris, 2011 : http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/330200 .

 

(7) Isabelle Borras, Dominique Epiphane, Philippe Lemistre, Gael Ryk, Etudier en Licence : parcours et insertion, CEREQ, Relief n°36, Paris,2012 : http://www.cereq.fr/index.php/publications/Relief/Etudier-en-licence-parcours-et-insertion.

 

(8) Alberto Lopez, « L’insertion professionnelle des licenciés de lettres, sciences humaines et sociales », Enquête sur le devenir (en 2007) dela Génération 2004, CEREQ : www.cereq.fr/enquetegeneration2004.htm.


(9) Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, Taux d’insertion professionnelle des diplômés de 2009 de l’université, Paris, 2012 : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24624/taux-d-insertion-professionnelle-des-diplomes-de-l-universite.html.

 

(10) Titre d’une chanson d’un groupe prétendument picard plein d’un fatal humour envers les aprioris des français sur la vie enseignante.

 

(11) Voir notamment l’association Aide aux profs : http://www.aideauxprofs.org/index.asp?affiche=Accueil.asp

 

(12) On peut penser à l’exemple évocateur des objectifs chiffrés de la police, combattus par les syndicats de policiers : http://www.unitesgppolice.com/article%3B551%3Bdes-objectifs-chiffres-d-interpellations-assignes-aux-policiers.html

 

(13) Voir la brève de l’INSEE : La baisse de l’emploi marchand s’accentue au troisième trimestre 2012 : http://www.insee.fr/fr/themes/inforapide.asp?id=30&date=20121211.

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